À la tête du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) depuis l’automne 2009, Christian Paire cumule plus de 35 années d’expérience dans le milieu de la santé. Avant de prendre les rênes du CHUM comme directeur général et chef de la direction, il a notamment dirigé le CHU de Rouen, en France, où il a entre autres travaillé à regrouper deux des cinq hôpitaux.
Son curriculum vitae est bien étoffé, il a également été directeur de plusieurs centres hospitaliers universitaires au sein de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, qui rassemble plus de 40 hôpitaux et emploie plus de 90 000 personnes. En tant que directeur des ressources humaines de cette institution, il a été un acteur clé dans la création et l’implantation de l’hôpital Georges-Pompidou, lequel regroupe désormais sur un même site l’ensemble des services des trois grands établissements hospitaliers.
En rafale: M. Paire a conseillé les ministres Simone Veil et Philippe Douste-Blazy dans le domaine de la santé, a intégré nombre de projets culturels dans les hôpitaux français, en plus d’avoir apporté une contribution significative aux relations internationales avec la Chine, le Brésil, l’Europe de l’Est et l’Afrique. Fort de sa connaissance du Québec, il a participé activement aux missions de coopération entre les centres hospitaliers du Québec et ceux de la France.
Propos recueillis par Valerie R. Carbonneau
Entrevue avec le directeur général et chef de la direction du CHUM M.Christian Paire
V.R.C. : Parlez-moi des trois phases du projet du nouveau CHUM et de son financement
C.P. : La première phase c’est l’ouverture de notre centre de recherche, le CRCHUM. En fait, il s’agit de deux bâtiments et le centre de recherche abritera aussi la direction de l’enseignement. Il faut savoir qu’il y aura là plus de 150 équipes de recherche, soit une centaine d’équipes de recherche fondamentale et une quarantaine d’équipes de recherche clinique. Car, vous savez qu’en médecine, tout est interrelié: la recherche se fait en laboratoire et aussi avec et sur des personnes malades. Voilà ce que l’on retrouvera globalement dans le CRCHUM qui ouvrira le 30 septembre 2013. Puis à côté, là où était autrefois situé le bâtiment de Vidéotron, se trouvera le bâtiment des directions. Bien que la construction du CRCHUM constitue en elle-même un PPP particulier distinct de l’opération principale, elle représente la première phase du chantier. Côté financement, l’opération a été un peu rehaussée pour ainsi atteindre les 470 M$.
Cette première phase du nouveau CHUM est très importante pour le directeur général que je suis. Comme nous avons l’ambition d’être un hôpital académique, il est nécessaire de faire un lien très étroit entre nos activités de recherche et nos activités cliniques de soins spécialisés. La collaboration entre le CHUM et le CRCHUM est donc très importante. À l’heure actuelle, l’édifice de 15 étages est totalement construit. Il ne reste qu’à le rendre complètement imperméable et ce sera fait cet été.
La deuxième phase, c’est la livraison de l’hôpital lui-même: les 772 chambres, les 39 blocs opératoires, les laboratoires et tout ce qui est nécessaire au bon fonctionnement d’un hôpital. Cette phase sera livrée en totalité durant l’été 2016. Actuellement, on a terminé de creuser dans le roc. À terme, plus de 500 opérations de dynamitage auront été nécessaires pour créer cet énorme trou, des opérations assez complexes à exécuter quand on est juxtaposé à un hôpital en fonctionnement. Ainsi, les travaux d’excavation pour structurer les quatre niveaux de sous-sol sont terminés et on a installé une paroi moulée, soit une protection de béton qui bloque toute la superficie de la zone à construire.
On construira d’abord la partie qui correspond aux chambres d’hospitalisation, soit la partie la plus basse qui jouxte la rue Viger. La deuxième phase comprendra l’érection de trois tours. Une en forme de «H» pour l’hospitalisation, tandis que les deux autres aménageront le plateau technique et les services diagnostiques, les cliniques et les soins ambulatoires.
À l’été 2016, on aura complété 85 % du chantier. Il ne restera ensuite qu’à démolir l’actuel Hôpital Saint-Luc pour transférer les activités dans la nouvelle construction. Une fois Saint-Luc démoli, on construira sur ce terrain donnant sur le boulevard René-Lévesque une dernière tour qui comptera essentiellement les bureaux de médecins et de gestionnaires. On implantera aussi un amphithéâtre au centre du projet, qui aura un peu la forme d’un grand cœur.
Un fait intéressant à noter, c’est qu’au moment de choisir le soumissionnaire pour le projet principal, le cahier des charges prévoyait la livraison de seulement 50 % de l’hôpital en 2016. Or, comme on est dans un contexte de PPP, on a beaucoup insisté auprès des partenaires pour livrer l’hôpital complet dès 2016. Bien que la destruction de l’Hôpital Saint-Luc soit nécessaire pour construire l’amphithéâtre, elle n’est plus un préalable pour l’ouverture du nouvel hôpital.
Après avoir révisé leurs effectifs, les concepteurs ont réussi à surmonter ce défi. Cela veut donc dire que les Montréalais, voire les Québécois auront accès à un hôpital totalement fonctionnel dès 2016. Et ça, c’est énorme.
V.R.C. : Quels auront été les principaux défis?
C.P. : Il y en a trois majeurs. Le premier : la contrainte des délais, alors que chaque année de retard entraîne un coût supplémentaire de 500 M$. Le défi consiste donc à faire bien, mais le plus vite possible. Et pour moi, l’objectif est atteint avec la livraison en 2016. Le deuxième : les contraintes reliées au site, soit l’espace restreint. L’hôpital sera un monobloc où tout sera relié; c’est bien pour les patients, mais c’est un sacré défi pour les architectes! Et le troisième défi est le fait que la construction sera assise sur du roc, un sous-sol qui coûte cher en travaux d’excavation.
Un autre défi a été de créer une continuité architecturale entre deux paysages bien différents: le Vieux-Montréal d’un côté et le Quartier Latin de l’autre. On a voulu combler cette cicatrice entre les deux.
D’ailleurs, j’insiste beaucoup sur le travail considérable de recherche architecturale et urbanistique qui a été fait pour enfin privilégier une vision ascendante en ce qui concerne la hauteur des bâtiments. Cela dit, à partir du Vieux-Montréal, la hauteur des édifices monte progressivement jusqu’à rejoindre l’environnement de tours qui sont beaucoup plus hautes. De sorte que ce qui se trouve plus bas n’entrave pas la vue sur le paysage situé plus haut. Au fond, on retrouve un moyen, un bas et un haut niveau qui n’est pas l’effet d’un hasard.
V.R.C. : Et qu’en est-il de la transition des activités?
C.P. : Commençons par celle du CRCHUM, à l’intérieur duquel emménageront 150 équipes de recherche provenant de six sites différents. Pourquoi la transition sur un site unique est-elle compliquée? Ce n’est pas tellement parce qu’on fait migrer des gens qui viennent d’horizons différents, mais plutôt parce qu’en recherche clinique, on fait de la recherche avec et sur les patients. Bien entendu, notre souhait serait de pouvoir faire ce qu’on appelle dans le jargon médical de la recherche «translationnelle», c’est-à-dire qu’on procéderait à la recherche fondamentale en laboratoire et à la recherche clinique dans un même bâtiment. Mais, la recherche clinique implique des expériences avec des personnes malades, qui elles, ne pourront intégrer le bâtiment avant sa livraison, en 2016. Alors, dans la phase de 2013 à 2016, il va falloir organiser des liaisons entre les trois hôpitaux qui constituent le CHUM aujourd’hui (Hôtel-Dieu, Notre-Dame et Saint-Luc). Et comment envisager une telle organisation? La logistique n’est pas simple… C’est d’ailleurs le mandat de Jacques Turgeon, directeur du CRCHUM.
Quant à la migration hospitalière, j’ai mis sur pied un comité directeur qui a pour objectif de préparer cette transition. Depuis six mois, les responsables réfléchissent à la procédure à savoir comment déplacer les différentes équipes, comment établir les calendriers et la logistique en général. La feuille de route des déménagements n’est pas encore établie, mais ultimement, ce que l’on veut savoir c’est quelle est la place de chacun dans l’autobus.
Cette direction de la transformation va coordonner toutes les équipes à travers le processus. Elle aborde avec le directeur de projet du nouveau CHUM, Paul E. Landry, des sujets très concrets. La façon d’organiser les blocs opératoires, par exemple. Ces discussions ont lieu actuellement. Et nous profiterons des trois prochaines années pour peaufiner la manière dont, selon un calendrier bien défini, les uns et les autres vont s’installer. Plus qu’un transfert d’activités, avec tout cela on va faire bouger 12 000 personnes. C’est un challenge que j’ai connu à Paris quand on a fusionné trois hôpitaux en un seul pour ainsi supprimer trois CHU. Je reproduis ici la même opération.
V.R.C. : Quelle est votre vision du futur CHUM en tant que directeur général?
C.P. : Je crois que les gens vont être surpris, voire éblouis par ce qu’ils vont découvrir en 2016. Je suis prêt à parier! Déjà, ils ont eu une bonne nouvelle en apprenant que le projet avait finalement démarré [rires].
V.R.C. : Croyez-vous que cette réaction anticipée soit liée aux déceptions du passé?
C.P. : Oui, forcément. Je ne suis arrivé que quelques mois avant le démarrage du premier chantier, en mars 2010. À ce moment-là, personne n’y croyait. Je percevais le scepticisme chez les gens, voire un cynisme considérable. Je n’accable pas ça… c’était toute une histoire! Mais, maintenant, les gens voient que le projet est enclenché, que c’est irréversible. Il ne suffit que d’aller le voir. Mais, en 2016, et à mon avis même un peu avant, tout le monde va trouver cela esthétiquement beau! Non seulement l’hôpital sera fonctionnel, mais le personnel, les patients et leurs visiteurs pourront bénéficier d’un environnement moderne et lumineux.
V.R.C. : Vous qui êtes un amoureux de culture, quelle place lui concédez-vous au sein du mégaprojet?
C.P. : D’abord, j’ai fait en sorte qu’il y ait 10 lieux majeurs permettant l’exposition d’œuvres d’art et l’offre de spectacles dans l’hôpital. Nous sommes également en pourparler avec la Ville sur la possibilité d’intégrer une maison de la culture à même l’hôpital. Quant à l’amphithéâtre, il servira de lieu de diffusion pour l’enseignement, la mise en place de spectacles de danse ou de concerts. Ce sera un point de rencontre entre l’art et la santé, ce qui, pour moi, est essentiel. La ministre de la Culture, Christine Saint-Pierre, m’a d’ailleurs demandé d’être un des porteurs de l’Agenda 21 de la culture du Québec.
V.R.C. : Pourrait-on éventuellement envisager l’art-thérapie?
C.P. : Je n’irais pas jusqu’à dire que l’art guérit. Par contre, le simple fait qu’il y ait un spectacle change le regard qu’on porte sur le lieu; que l’on soit patient ou visiteur. Devant une performance artistique, on ne pense plus à un lieu hospitalier de la même manière. L’art vient chercher le patient non pas comme un objet de soin; il ne s’agit donc pas d’un foie malade, mais bien de la personne dans son identité. Je pense que cela facilite la réhabilitation, mais je n’irais pas jusqu’à parler d’art-thérapie…
V.R.C. : En dernier lieu, en quoi le futur CHUM se distinguera des autres gros centres hospitaliers?
C.P. : Par rapport au Centre universitaire de santé McGill (CUSM), il importe de préciser une première chose: l’architecture n’est pas du tout la même. D’ailleurs, il est bien qu’on ait dans la même ville deux grands CHU qui, au fond, prennent une option architecturale différente.
En revanche, parce qu’on m’a 1000 fois posé la question, pourquoi faire deux CHU et non un seul? Il ne faut pas faire des machines à soins, c’est-à-dire des ensembles gigantesques. L’espace aurait été tellement vaste que cela aurait remis en cause le soin personnalisé. En Europe, il y a des hôpitaux pas mal plus grands que ça. Et pour les avoir connus, je crois qu’il est bon d’avoir deux institutions distinctes pour ainsi garder les hôpitaux à échelle humaine et parce qu’on est un CHU.
La volumétrie doit être suffisante pour intégrer tout l’équipement hospitalier, sans pour autant aller dans le gigantisme. Le fait même d’avoir deux sites différents va nous permettre de nous comparer, d’un côté comme de l’autre, dans l’optique d’améliorer les installations et les procédures.
Le CHUM travaille d’ailleurs très étroitement avec le CUSM. Nous avons des projets et des équipes en commun.
Après tout, il n’y a pas lieu de se concurrencer… Notre but respectif c’est que Montréal soit au même niveau que Boston ou d’autres grands centres en Amérique du Nord, si l’on tient compte des énormes investissements réalisés par le gouvernement entre le CUSM, le CHUM et Sainte-Justine, lesquels s’élèvent au total à 5 G$. L’enjeu, c’est que Montréal soit une plaque tournante en Amérique du Nord dans le domaine de la médecine et des sciences du vivant.
V.R.C. : Auriez-vous quelque chose à ajouter
C.P. : En fait, à ceux qui disent que c’est très cher, je réponds que c’est vrai, mais qu’il faut voir le tout comme un investissement à long terme. On ne construit pas un centre hospitalier pour 10 ans, mais pour 50, voire 100 ans. Ce que les gens ne savent pas, c’est que 2,5 G$, soit le coût total de notre opération, représente trois années de fonctionnement du CHUM actuel. Autrement dit, il en coûte chaque année le tiers de la somme totale dont on a besoin pour l’ensemble du projet; ce qui, à la reflexion, n’est rien par rapport à ce que cela va offrir à la population.